D'anciens malades en renfort en psychiatrie: un programme qui fait débat... |
Embaucher d'anciens malades pour accompagner les usagers au sein des équipes de santé mentale: l'idée pouvait paraître séduisante, mais elle a soulevé un tollé chez les syndicats qui réclament l'arrêt de l'expérimentation.
Ce programme "Médiateurs de santé/pairs", inspiré de projets mis en oeuvre au Québec, en Ecosse, aux Etats-Unis et en Angleterre, a été lancé en janvier dans trois régions: Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nord/Pas-de-Calais.
Conduit par le centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (CCOMS) de Lille, il consiste à former 30 personnes disposant "d'un savoir issu de leur expérience personnelle" des troubles psychiques, et à les intégrer en parallèle dans des équipes soignantes pour une durée de deux ans.
Les médiateurs "sont rémunérés sur la base d'un temps plein en tant qu'adjoints administratifs 2e classe - 6e échelon, soit 1.272,73 euros nets par mois", selon la note de synthèse du CCOMS.
Le but est "d'améliorer la qualité de la prise en charge en santé mentale", expliquent les ministères de la Santé et des Solidarités dans un récent courrier. La "pair-aidance" est d'ailleurs mentionnée dans le nouveau plan santé mentale présenté par le gouvernement.
Mais attention, "on n'est pas dans du +ou+, on est dans du +et+, le pair vient en complément, pas en substitution des personnels soignants", précise Roland Canta, référent sur la psychiatrie santé mentale à l'Agence régionale de santé (ARS) Paca.
Malgré ces précautions, les syndicats ne décolèrent pas. Pierre Tribouillard, secrétaire régional de FO Santé, dénonce un "problème statutaire". "On introduit petit à petit dans la fonction publique des emplois précaires, hors normes, tant dans la façon dont ils sont recrutés que par le niveau de recrutement (huit semaines de formation)", déplore-t-il.
Problème de "compétence" aussi: "s'il suffisait d'avoir été soigné dans un service de psychiatrie pour être compétent... c'est un raisonnement absurde", lance le syndicaliste, qui craint un manque de recul des pairs. D'autant qu'"une maladie mentale ne se soigne pas comme on soigne une maladie physique: le début et la fin sont beaucoup plus complexes à cerner".
Enfin, le coût fait débat. La logistique du programme est financée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à hauteur de 552.000 euros, tandis que l'ARS prend en charge la formation et le salaire des médiateurs pour 300.000 euros par an. "Je tombe des nues parce qu'on nous oppose toujours le budget", peste Gérard Avena du syndicat Sud, ancien infirmier en pôle psychiatrie, dénonçant un projet élaboré "dans le plus grand secret, sans concertation".
Face à ces réticences, les directeurs de cabinets de ministres ont annoncé mi-février "être prêts à organiser la suspension de l'expérimentation (...) de manière à fournir plusieurs garanties indispensables préalables".
En attendant, la formation des médiateurs se poursuit, mais leur intégration dans les équipes est reportée. Selon M. Canta, "ils restent en position d'observateurs" le temps de revoir le dispositif avec les syndicats. Lesquels refusent toute discussion et continuent à demander ni plus ni moins l'annulation de l'expérimentation.
Dans les faits pourtant, "rien n'a changé", rapporte le professeur Christophe Lançon, chef du service psychiatrie de l'hôpital Sainte-Marguerite de Marseille, un des 12 établissements partenaires. Pour lui, "c'est un projet extraordinaire: l'intrusion des pair-aidants dans les services de psychiatrie signe la fin de l'asile, il prouve qu'on peut guérir socialement de la maladie mentale".