Formule 1. Le renouveau agressif de Renault

Depuis 2016, Cyril Abitboul est à la tête de l’écurie F1 de Renault. Après deux saisons de reconstruction, l’équipe monte en puissance au championnat, et offre un beau duo de pilotes, avec Nico Hülkenberg et Carlos Sainz Jr. De quoi permettre à l’écurie de progresser ? Le directeur de l’écurie semble plutôt optimiste.

Au moment d’arriver à Melbourne, quel bilan tirez-vous des essais hivernaux ?

On avait pas mal d’objectifs à remplir. Comme tout le monde, on vient avec un nouvel ensemble, mais avec un enjeu supplémentaire. Celui de rattraper notre retard. Côté moteur, c’est assez évident qu’on a fait face à un certain nombre de crises de fiabilité, l’an dernier, avec un règlement sportif qui ne s’assouplit pas au niveau du nombre de moteurs alloués (trois par saison). Sur ce point, on avait mis la barre assez haut sur la fiabilité, et le bilan est assez positif, avec beaucoup de kilomètres sans problème.

Côté châssis, on est contraints, par rapport à notre situation, de rattraper un retard conséquent, par rapport aux autres voitures. Il y a dans cette voiture, plusieurs années de développement de Formule 1 que les autres n’ont pas à faire, compte tenu du développement permanent qu’ils ont fait. Nous, nous sommes partis pendant cinq ans. Il faut rattraper ce temps. De fait, la voiture a évolué, et il y a des choses qui ne se voient pas forcément, notamment le refroidissement, le choix des matériaux, les réglages châssis, boîte de vitesses en carbone, nouveaux systèmes de suspensions.

On s’est rassurés en accumulant beaucoup de kilomètres. Côté compétitivité, on est encore loin de pouvoir tirer des conclusions. On sait ce qu’on a fait, on sait comment on l’a fait, et c’est assez en ligne avec ce qu’on voulait.

La neige et le froid ont perturbé les premiers essais. Avez-vous souffert de la météo ? Pris du retard ?

Globalement, ce sont des essais satisfaisants, même si on ne peut pas se placer dans la hiérarchie. Compte de tenu ce que l’on maîtrise, nous sommes satisfaits. On avait probablement plus de choses à tester que les autres écuries, donc la neige, le froid, ça nous a un peu plus contraints. Sans On a perdu un peu de temps avec des ennuis des boîtes de vitesses, le dernier jour.

On est dans un plan de croissance important, on a beaucoup investi, notamment dans un parc de machines plus modernes, et cela se voit sur la qualité de la voiture. Ça veut dire qu’on a des qualités de carrosserie qui n’ont rien à voir avec la génération précédente. Ça à l’air de rien du tout, en qualité de montage, en qualité aérodynamique, la voiture est bien meilleure. Surtout, on a apporté des pièces, et elles se comportent comme prévu, et cela nous rassure pour la suite, notamment notre saison, avec un plan d’évolution agressif.

Vous attendiez-vous à une telle fiabilité sur vos moteurs lors des essais ?

On espérait une telle fiabilité, avant de venir. Au banc, on a fait 11 fois plus de kilométrage moteur que l’année précédente. Ce qui démontre le degré de maturité de notre ensemble. C’était donc bien de vérifier cela sur le terrain.

Avez-vous une pression supplémentaire des équipes clientes ?

Il y a une pression des écuries clientes, évidemment, mais la pression que je me mets, moi, pour l’écurie Renault, elle est suffisante.

Quelles sont les modifications apportées au moteur, compte tenu du nouveau règlement ?

Les modifications qu’il faut faire sur le moteur ne sont pas nécessairement très nombreuses. C’est peut-être pour cela, qu’à un moment, on s’est dit que ce n’était pas une si mauvaise idée de le faire et nous avons tous accepté ce règlement-là. Mais comme d’habitude en F1, le diable est dans le détail, et ce sont les aspects collatéraux qui sont empoisonnants… Et qui font que ce règlement est une très mauvaise idée, une très mauvaise chose.Développer un moteur pour passer de 5 000 km à 7 000 km, c’est 50 % de temps de développement en plus. C’est un énorme casse-tête qui, à mon avis, n’apporte pas grand-chose à la Formule 1.

Pourquoi ce constat ?

Sur le plan de logistique, sur le plan validation des évolutions, et l’introduction de ces dernières, c’est un vrai casse-tête. Prenons un exemple simple, à Melbourne, on devra venir avec deux moteurs. Si j’ai trois moteurs, ça veut dire que je viens en Australie avec presque tous les moteurs de la saison. Donc ça veut dire, en théorie, que je ne fais pas d’évolution sur ces derniers de toute la saison. Évidemment que dans les faits, ce ne sera pas le cas. Donc je vais démonter à chaque fois mes moteurs, pour monter des évolutions. Démonter, remonter, tout en ralentissant le cycle de développement, vous comprenez le casse-tête logistique que cela devient.

Quelles vont être, selon vous, les conséquences de ce règlement moteur ?

L’allongement de la durée de vie des moteurs fait que l’on aura moins de possibilités de mettre en place des modes performance. On va commencer la saison en mode safe sur le châssis, sur le moteur, avant de monter en puissance. On a ce risque de ne pas être dans la performance de pointe en permanence.

J’entends parfois qu’il faut faire des moteurs qui pourraient servir à la fois en Endurance et en F1. Je pense que c’est plutôt l’inverse qu’il faut faire. Il faut avoir des sports ultra-spécialisés, avec la F1 sur un champ, l’Endurance sur un autre, et la FE sur un autre encore. Chacun doit avoir sa spécificité, et ne pas faire la même chose, sinon, il ne restera plus qu’un seul sport. Pourquoi pas, mais il y aura deux sports qui se seront arrêtés.

Où en est le plan de reconstruction de l’écurie Renault ?

Quand on est revenu, on a mis en place un plan sur six ans : avec trois pour reconstruire et trois ans pour challenger les tops teams. On est à la troisième année de cette première phase, et a 80 % de ce qu’on avait prévu de faire. On doit être à la maturité à la fin de 2018. On a des effectifs qui, entre fin 2016 et 2018, auront augmenté de 50 %.

En comptant Viry-Châtillon (département moteur) plus Enstone (département châssis), plus un certain nombre de partenaires très proches, comme Mecachrome (spécialiste français des moteurs), on sera 1 300 personnes à la fin de cette année sur le projet. Pour référence, Mercedes, c’est 1 600 personnes. Nous serons encore 30 % de moins qu’eux.

Quel objectif fixez-vous à l’écurie cette saison ?

Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre, gérer cette croissance et la financer. On a un plan clair, qui se traduit par une progression en piste. Cette année, on ne se fixera pas d’objectifs. C’est surtout la progression qui doit continuer. On est passés de la neuvième à la sixième place du championnat, et on doit encore progresser.En fin de saison, nous aurons plusieurs façons de voir si nous avons progressé : les points, les classements, et l’écart aux équipes de pointe. On a divisé par deux l’écart aux tops team. Si fin 2018, notre écart est d’une demi-seconde, ce serait satisfaisant, et ça me paraît réalisable. D’autant plus si on veut aller chercher des podiums régulièrement mi-2019-2020.

Côté pilote, Renault engage cette année deux tops pilotes. Hülkenberg et Sainz Jr. Cela change-t-il le fonctionnement de l’équipe ?

C’est la première année où on a un line-up de pilote complètement cohérent avec notre projet et nos ambitions. Et cela ne court pas seulement pour cette année, mais aussi pour la suite. Quand je regarde notre line-up, il doit être le plus intéressant en combiné. Sainz, Hülkenberg, c’est inattaquable comme line-up, et, pour l’équipe, c’est un souci de moins à gérer.

Le fait d’avoir deux tops pilotes, on le ressent car ils sont motivés, rapides, efficaces. On a aussi des retours cohérents, dans les débriefs, et de notre côté, on se rassure de la direction dans laquelle on fait évoluer les choses. On sait aussi que l’on a plus les œufs dans le même panier.

Pensez-vous que cela peut créer une rivalité dans l’équipe ?

Ce sont des gars intelligents, qui savent aussi faire passer l’équipe en premier, car ils savent que si l’équipe progresse, ça leur sera bénéfique. L’équipe, aujourd’hui, est dans une position où ils ne peuvent pas se dire qu’ils passent avant. Leur meilleur atout, c’est la progression de l’équipe. Et ils sont assez intelligents pour le comprendre.