ENTRETIEN. « Un précédent dangereux… » : le prix des billets de la Coupe du monde multiplié par cinq, les fans en colère

La Fifa a dévoilé il y a quelques jours les prix des billets pour chaque match de la Coupe du monde 2026, en lançant une plateforme de pré-vente jusqu’à fin janvier. Si les supporters savaient qu’ils devraient payer des montants jamais atteints, ils ne s’attendaient quand même à ce que les prix soient si élevés. Si vous êtes fan de la France, que les Bleus vont en finale et que vous souhaitez assister à l’ensemble des matches des joueurs de Didier Deschamps, vous devriez débourser, entre 6000 et 7 000 € par personne, en prenant les billets les moins chers. Ronan Evain, le directeur de Football Supporters Europe, une association qui s’occupe des supporters européens, se montre pessimiste.

Le prix des billets est très élevé, bien plus qu’en Russie ou au Qatar comme beaucoup le prédisaient. Est-il au-delà des prévisions ?

À ce niveau-là, c’est totalement inattendu. C’était sur une courbe ascendante depuis plusieurs compétitions, mais sur une hausse raisonnable. Le dossier de candidature pour la Coupe du monde 2026, déposé par les États-Unis, le Canada et le Mexique, évoquait un total de 2000 dollars pour le tarif le moins cher pour l’intégralité des billets jusqu’à la finale (pour suivre une seule sélection), aujourd’hui, il est à 6 900. On a triplé par rapport aux engagements d’origine et c’est cinq fois plus élevé que le prix des places au Qatar. C’est une augmentation jamais vue dans l’histoire de la compétition.

En réaction à cela, des actions sont-elles prévues par des groupes de supporters, voire un éventuel boycott ?

Pour le moment, on n’y est pas encore. On a appelé à la Fifa à suspendre les ventes, elle a encore la possibilité de le faire, puisque pour le moment jusqu’à fin janvier, c’est uniquement des préventes. La Fifa peut les suspendre et adopter une autre tarification. En revanche, ce qu’on voit très nettement, c’est que les gens vont être, en quelque sorte, forcés de boycotter, car ils n’ont pas les finances pour se rendre à la compétition. C’est déjà une compétition très chère, parce que le prix des transports l’est, le prix des hôtels aussi… La seule chose sur laquelle la Fifa avait une maîtrise complète, c’est le prix des billets, mais ils l’ont fait exploser. Pour beaucoup de gens en Europe ou ailleurs dans le monde, c’est compliqué de mettre 7 000 dollars ou plus pour assister aux matches.

« Quoi qu’il arrive, l’atmosphère va en pâtir »

Vous appelez la Fifa à ce qu’elle baisse les prix. Pensez-vous que vous allez être entendu ?

La gouvernance de la Fifa fait que ces décisions sont essentiellement prises par un homme, Gianni Infantino, et son entourage. Malheureusement, on a assez peu de prises sur la gouvernance de la Fifa, qui est tout à fait défaillante. C’est aux associations membres, c’est-à-dire les fédérations nationales de prendre leurs responsabilités. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, les critiques sont unanimes. L’espoir persiste, mais la balle n’est pas dans notre camp.

À terme, pensez-vous que les supporters se retrouveront, en quelque sorte, exclus des stades lors des grandes compétitions, au vu des prix des billets ?

La Coupe du monde 2026 reste une exception, pour les autres compétitions internationales, cela reste raisonnable. La place la moins chère, pour la finale de l’Euro à Berlin (2024), était à 95 €. C’est incomparable. L’immense majorité des supporters se retrouvent exclue de cette Coupe du monde. Nous, les Européens, on est relativement privilégié par rapport au reste du globe. Il y a des nations qui ne peuvent pas rentrer aux États-Unis, comme les Iraniens ou les Haïtiens. La Fifa a une vocation mondiale, universaliste. On a regardé les données disponibles, auprès de la Banque mondiale, sur les salaires journaliers moyens par pays. Pour un Ghanéen, ça représente 590 jours de travail, s’il veut se payer un billet pour tous les matches du Ghana (et si le Ghana va en finale). Ça va mener à une exclusion de la majorité des supporters et créer un précédent dangereux. Il est impossible de dire si ce sera la réalité des futurs tournois ou si c’est une exception plutôt qu’autre chose.

« S’il y reste des places disponibles, le dynamic pricing (ajuster les prix en fonction de la demande) permettra de vendre les derniers sièges beaucoup moins chers, c’est l’un des rares avantages du système », expliquait Hervé Mougin, le président des Irrésistibles Français, dans nos colonnes il y a une semaine. Un grand nombre de supporters ne pourrait-il pas en profiter ?

Ce qui s’est passé sur la Coupe du monde des clubs, où on pouvait voir, dans la même tribune, des personnes qui avaient payé 400 dollars leur place et une autre qui avait payé 20 dollars. Des locaux peuvent en bénéficier, pas des gens qui doivent planifier leurs déplacements des moins à l’avance. Si réduction des places il y a, et rien ne le garantit, ça se fera au dernier moment.

Ce manque de supporters dans les travées signifie-t-il qu’on aura des stades qui vont sonner vides ?

On se dirige clairement vers un public de spectateurs plutôt que de supporters. Il faut aussi prendre en compte que, dans l’histoire du foot, les billets les moins chers sont derrière les buts, là où se placent les plus fidèles supporters. Pour la Coupe du monde 2026, ces billets-là sont en catégorie 1, donc la plus chère. Les catégories 2 et 3 sont un peu plus abordables, mais sont situées beaucoup plus haut en tribune. Quoi qu’il arrive, l’atmosphère va en pâtir.

Vous êtes le directeur de Football Supporters Europe, une association qui s’occupe des supporters européens. Est-ce le même son de cloche dans les autres pays au sujet du prix des billets ?

Oui, les gens se posent réellement la question de savoir s’ils ont les moyens financiers. Il y avait déjà un certain nombre d’obstacles : les difficultés d’entrée aux États-Unis, le manque de clarté sur les conditions d’accueil, le coût du transport, de l’hôtel… Aujourd’hui, la demande dans les pays européens est faible, c’est certain.