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Tour de France 2025. Bernard Hinault : « Il ne faut pas être un moine pour gagner ! »... |

L’ancien coureur cycliste, Bernard Hinault chez lui à Calorguen (Côtes-d’Armor) © Thomas Brégardis, Ouest-France
Quintuple lauréat du Tour de France, Bernard Hinault est aussi le dernier vainqueur français de la Grande Boucle. C’était en 1985, il y a quarante ans. Le Breton se serait bien passé de cet anniversaire… Il se confie à Ouest-France, alors que la Grande Boucle s’élance de Lille samedi 5 juillet.
Bernard Hinault s’en serait bien passé. Dernier vainqueur du Tour de France, en 1985, le « Blaireau » fête, cette année, les quarante ans du dernier de ses cinq sacres. Mais en même temps, donc, cet anniversaire souligne la disette des Français avec la Grande Boucle. Bernard Hinault, lui, se dit « malheureux » de cette longue page blanche. Entretien.
Quand vous avez arrêté votre carrière en 1986, pouviez-vous imaginer que quarante ans plus tard, aucun Français ne vous aurait succédé au palmarès ?
Bien sûr que non ! Mais vous savez, nous les Français, nous ne sommes pas les seuls. Il y a les Belges aussi (Van Impe est le dernier vainqueur, en 1976). Voilà, nous n’avions jamais connu une période aussi longue sans un vainqueur du Tour français. On a eu Bobet, Pingeon, Anquetil, Aimar, Thévenet, moi… Mais après plus rien. Il y a eu Fignon en 1989 qui n’est pas passé loin, c’est presque le seul en quarante ans à s’être approché de la victoire. Les autres étaient finalement assez loin du compte.
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Vous vous êtes donc arrêté en 1986, avec cinq Tours de France. Avez-vous pensé un jour à aller chercher le record de victoires ?
Non, je n’ai jamais pensé au record. Si tu le fais, c’est là où tu fais la connerie. Tu cours pour courir, pour gagner. Et ça, c’était l’erreur qu’il ne fallait pas faire. Si j’avais couru pour le record, je n’aurais pas donné ma parole à Greg LeMond pour le Tour 1986, alors que j’en avais déjà cinq…
« Ce n’est pas normal qu’on n’arrive plus à gagner »
C’est un regret ?
Non. Est-ce que je serais plus heureux si j’avais gagné six Tours de France ? J’ai eu une vie de rêve, j’ai toujours fait ce que je voulais quand je voulais, et ça n’est pas donné à tout le monde…
Vous avez des souvenirs des émotions ressenties sur le Tour ?
J’ai des images. Je me souviens, par exemple d’un car de supporters qui était venu d’Yffiniac, la première année, et était de l’autre côté des Champs-Élysées, j’étais allé les saluer. C’est du bonheur. Mais quand c’est fini, tu penses à un autre challenge. Le Tour, c’est un moment dans ta vie qui dure trois semaines où tu t’éclates. Ensuite, j’ai toujours su penser à ce qui arrivait après.

Bernard Hinault, au siège de Ouest-France. Thomas Bregardis / Ouest-France
Vous avez aussi été battu sur le Tour, en 1984. Cela vous avait rendu encore plus populaire cet été-là…
C’est normal, j’étais deuxième ! Si tu es premier, tu es un tricheur ou un voleur. Je l’ai vu. Quand j’ai abandonné le Tour 1980, tout le courrier que j’ai reçu, il y en avait 10 % c’était pour m’insulter. « C’est bien fait pour ta gueule. Tu n’avais qu’à prendre moins de médicaments… »
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Selon vous, qui, justement, aurait pu vous succéder ?
En étant honnête, personne. Car en faisant l’analyse de tous ceux qui ont un jour visé le général ou cru en leurs chances, il leur manquait toujours un truc. Sauf Fignon en 1989, donc. Ce n’est pas normal, ni logique, qu’un pays avec autant de courses, de coureurs, d’équipes, n’arrive plus à gagner le Tour depuis quarante ans. Au moins une petite victoire, rien qu’une, ce n’est pas normal qu’il n’y en ait pas eu…
Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
On n’a pas eu le coureur avec le potentiel pour le gagner. Tout simplement. Aujourd’hui, je le dis souvent, on n’a pas le champion comme ont eu certaines nations qui sont hors normes et qui sont au-dessus du lot. On a des bons coureurs, mais ce sont des 750 cm3 et les autres sont des 1 000 cm3. Il faut avoir toutes les aptitudes. Actuellement on n’a pas ça. Mais vous savez, ça peut aller très vite parfois. Regardez Pogacar. La Slovénie et le cyclisme, qui aurait cru que ce pays en serait là aujourd’hui ?
« Je suis malheureux de tout ça »
Au fond de vous, qu’est-ce que cela vous inspire, cette disette ?
Je suis malheureux de tout ça, car on ne mérite pas ça ! Ce n’est pas logique, encore une fois, sur quarante ans. Mais bon, peut-être que d’ici trois-quatre ans, on aura un jeune qui va sortir de derrière les fagots et qui va cartonner ! Mais il faut que ça soit une bonne bête hein…
Paul Seixas, par exemple ?
On va voir. On est de suite en train de le faire monter. Très souvent, on a vu de bons juniors et ils disparaissent ensuite. Que se passe-t-il ? Ils sont peut-être déjà au taquet, au maximum de leurs capacités. Ils ont déjà les méthodes d’entraînement des professionnels qui font le Tour, alors comment veux-tu les faire progresser ensuite ? On les a déjà emmenés au maximum à 18 ans…
« Il ne faut pas être un moine »
Justement, aimeriez-vous être coureur aujourd’hui ?
Je crois que je me serais adapté. Je n’aurais peut-être pas toutes leurs datas, toutes leurs conneries… Il y a quand même un paquet de coureurs qui pètent les plombs. Des jeunes qui arrêtent. On leur met trop de pression. On leur dit « Il faut manger tant de grammes sinon on prend du poids, etc ». Moi, si j’avais envie de bouffer, je bouffais. Les coureurs doivent être des machines, on ne leur demande pas de penser. C’est le danger qui guette le cyclisme. Avec les oreillettes, les psys, la chasse au poids… Il ne faut pas être un moine ! Moi, je vivais bien. Je crois que parfois, ils oublient de s’amuser.
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Finalement, est-ce que votre successeur ne sera pas une Française ?
Peut-être, oui ! Pauline Ferrand-Prévot est en forme, elle a peut-être la chance d’avoir au sein de son équipe d’autres candidates aussi, et de pouvoir jouer avec cet atout-là. Juliette Labous va bien aussi, Evita Muzic également. Aujourd’hui, les Françaises font jeu égal avec les autres. Elles ont beaucoup progressé. Marion Bunel, elle, vient de gagner le Tour de l’avenir, c’est prometteur aussi.
Que diriez-vous à l’oreille, sur les Champs, au premier Français qui vous succéderait…
Chapeau Monsieur, et bienvenue au club !